sous cette photo empruntée, avec sa permission, sur sa page Facebook.
De Jean-Claude St-Pierre…
Membre de l'Ordre du Bleuet
Texte de Christiane Laforge
lu à la présentation de Jacques Girard
au Gala de l'Ordre du Bleuet, le 7 juin 2014
Les poètes vous le diront, il y a des larmes si belles qu’elles sont à la mémoire comme des perles dont se pare le cœur. Jacques Girard porte en lui tel un trésor les larmes de son père versées au lancement de son premier livre Des nouvelles du Lac. Quelle formidable riposte envers les préjugés à l’égard d’une famille, pauvre certes, mais ni d’esprit ni de cœur. Le fils de René Girard, journalier dans une scierie, et de Thérèse Côté, mère de trois garçons, tous deux analphabètes, mais combien déterminés à favoriser l’instruction de leurs enfants, vibre encore à toute l’intensité de cette émotion exprimée.
Né en 1946 à Roberval, Jacques a très tôt été sous l’emprise des mots. Il aurait voulu étudier le Droit, non pour défendre les accusés, mais par désir d’avoir cette envolée oratoire des avocats de sa ville qui, dit-il, donnaient l’impression d’être plus grands que réels. Heureusement pour ses élèves, nombreux à témoigner leur reconnaissance, il a choisi d’enseigner le français au secondaire. «J’ai fait mon bonheur», avoue-t-il après 33 ans de plaidoirie auprès d’adolescents pour convaincre de l’importance de la lecture et de l’écrit. Message reçu confirment plusieurs de ses élèves devenus écrivain, à l’instar de Sylvie Marcoux, auteure et directrice générale du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean.
À si souvent démontrer le quoi et le comment, l’enseignant se convainc lui-même de dépasser la théorie et de passer à l’action. Il le fait doublement comme auteur et comme journaliste. Tout est en continuité. À 13 ans, le jeune homme est sous l’emprise de la littérature depuis que Guy-Marc Fournier, écrivain-journaliste, lui a révélé toute la magie cachée sous la couverture d’un seul livre : Amok de Stefan Zweig. «Une révélation» affirme-t-il, entretenue lors de ses escapades à la librairie régionale de Chicoutimi où Monsieur Gingras autorise ce client fidèle à dévorer sur place quelques œuvres de la réserve située à l’étage.
En 1977, l’enseignant ose franchir un autre pas sur les traces de son mentor. Il accepte un poste de journaliste au journal Le Quotidien à titre de correspondant dans le secteur de Roberval et Saint-Félicien. Cette expérience servira bien l’auteur choisi pour écrire, en 2004, le livre commémorant le 50e anniversaire de la traversée du lac Saint-Jean à la nage. La traversée du lac, un rêve sur le monde — 1955 à 2004, assure à son rédacteur sa propre place dans l’histoire de Roberval. Une sorte de consécration pour cet enseignant-journaliste-écrivain qui n’a de cesse de se faire l’échotier de sa ville.
À la lecture de ses nouvelles, regroupées dans six recueils publiés entre 1996 et 2013, Jacques Girard nous apparaît semblable au ménestrel de l’époque médiévale, relatant des faits, réels ou imaginaires de leur pays ou de terres lointaines. Nous dirions que la plume est aux mains de Jacques Girard ce que sont les ciseaux à Edward mains d’argent, personnage fantastique de Tim Burton. Ses mots cisaillent les évènements, taillent les gestes quotidiens, sculptent les personnages capturés par cet observateur sans cesse à l’affût d’une histoire à raconter. Ses livres, Les portiers de la nuit, La mare aux monstres, Fragments de vie, Des Hot-Dogs aux fruits de mer et, plus récent, Attendez au moins la fin de l'histoire sont de véritables chroniques traitant plus de la réalité que de la fiction des gens qu’il côtoie dans sa ville, Roberval.
Dans le coffre aux souvenirs qu’évoque l’écrivain, le plus symbolique demeure ce jour où sa mère, venant de décrocher un premier emploi, lui demande « Apprends-moi à lire. Apprends-moi à écrire. » Elle conforte ce jeune enseignant dans la certitude de l’importance de transmettre la connaissance et surtout de communiquer sa passion. Loin de s’installer dans le confort d’une carrière qu’il vit comme un privilège, monsieur Girard promène dans l’école un chariot chargé de romans et recueils de poésie qu’il distribue sans retenue. Membre fondateur de deux cercles littéraires, il s’insurge contre l’absence d’une bibliothèque dans sa ville. Avec Rémi Paradis et Rejean Paré, il transforme l’ancien salon de coiffure de Laurent Guay en lieu de lecture, y accumulant plus de 2 200 livres. Cet envol prend fin un an plus tard, plombé par un déficit de 1 000 $. Il ne renoncera pas. Il contribue à la venue de la Bibliothèque centrale de prêt à l’origine de la bibliothèque de Roberval fondée par Jacques Audette. Membre du comité d’agrandissement, il encourage son développement jusqu’à l’inauguration en grande pompe de l’actuelle Bibliothèque Georges-Henri-Lévesque.
En prenant sa retraite, à l’aube de l’an 2000, Jacques oublie très vite le sens de ce mot. Luttant courageusement contre la maladie, il anime des ateliers en création littéraire, donne de la formation en journalisme à la Cité étudiante, prête sa plume à des auteurs désireux de publier leur histoire, donne des cours de lecture rapide, s’investit à la Société d’histoire de Roberval ainsi que dans l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie. Membre fondateur, avec Léonard Simard et Michel Larouche, du Comité hommage aux bâtisseurs responsable du Circuit des bronzes, le bachelier en histoire exulte, en 2005, en revêtant la soutane du curé Bernier pour un rôle qu’il campe avec éloquence dans une pièce de Rejean Gauthier, présenté aux fêtes du 150e de Roberval.
Marié à Diane Côté, père de deux filles, René-Claude et Marie-Christine, endeuillé de son seul fils Maxime décédé en 2002, grand-père de quatre petits-enfants, Jacques Girard a l’orgueil de celui qui sait avoir réussi sa vie. À cet amour des mots qui l’habite depuis l’adolescence, il a développé celui de toutes les personnes qui l’habitent lui, le client assidu du Café Yé où il avait sa table sur laquelle il a assemblé ses fragments de vie. Par ses écrits, son dévouement, sa culture et son humanité, son nom s’inscrit en force dans le développement culturel de notre région.
Le 7 juin 2014
JACQUES GIRARD
Écrivain, journaliste, enseignant exceptionnel
Passeur de mots par excellence
fut reçu membre de l’Ordre du Bleuet
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Jacques Girard 1946-2016 |
POURQUOI L'ORDRE DU BLEUET
L'intensité et la qualité de la vie culturelle et artistique au Saguenay-Lac-Saint-Jean est reconnue bien au-delà de nos frontières. Nos artistes, par leur talent, sont devenus les ambassadeurs d'une terre féconde où cohabitent avec succès toutes les disciplines artistiques. Cet extraordinaire héritage nous le devons à de nombreuses personnes qui ont contribué à l'éclosion, à la formation et au rayonnement de nos artistes et créateurs. La Société de l'Ordre du Bleuet a été fondée pour leurs rendre hommage.La grandeur d'une société se mesure par la diversité et la qualité de ses institutions culturelles. Mais et surtout par sa volonté à reconnaître l'excellence du parcours de ceux et celles qui en sont issus.